Psy à chien (1) : le contact

Depuis quelques mois, Bowen vient une fois par semaine à mon cabinet. Avec sa manière bien à lui d’entrer en relation avec le patient.

Là-bas, la porte d’entrée du cabinet s’ouvre. Bowen, qui était confortablement affalé de tout son long sur le tapis, se redresse d’un coup. Il fonce vers la porte de ma salle. Celle-ci était entrouverte. Il se faufile. Avec sa truffe ou sa patte, il pousse la deuxième porte qui donne sur la salle d’attente. Et il se rue tout frétillant vers la personne qui vient d’entrer. Bowen est un Golden retriever mâle de bientôt neuf mois. Encore un bébé. Mais un gros bébé de 36 kilos ! Même si je l’emmène tous les dimanche matin à l’Ecole du chiot pour lui apprendre à se tenir, et même si je travaille toute la semaine pour qu’il apprenne les règles d’obéissance, la rencontre d’un être humain est une immense joie, une excitation que Bowen a toutes les peines à contenir. Pour l’instant.

Curieux

Les effusions vont durer quelques instants. Le patient est assailli, cerné par les élans du chien. Il peine à se frayer un passage vers son fauteuil. Je l’interpelle : « Venez, venez, il va vous suivre ! ». Bowen réclame son attention, son quota de caresses et de compliments. Il n’en démord pas. Il impose le contact, la relation. Il invite à une forme d’expérience « brute » que ne renierait pas un thérapeute gestaltiste. Il furète autour du patient, renifle les sacs, les manteaux, les chaussures. Bowen est un Golden retriever, et les Golden retriever sont très curieux. Dans une familiarité qui tranche avec la réserve et la distance de son propriétaire thérapeute, il s’assied droit devant le patient et plante son regard dans celui du nouvel arrivant. Parfois il va même jusqu’à poser ses pattes avant sur les genoux de la personne désormais assise dans le fauteuil. Là, son propriétaire estime que c’en est trop, Bowen est trop familier, et lui pose la limite. Il faudra renouveler la consigne pour que le Golden obtempère. Il va apprendre, et moi aussi. Bowen est mon premier chien, et il m’apprend mon rôle de maître. De la même façon que chaque nouveau patient m’apprend mon métier de psy.

Chien de salon ?

J’aurais pu attendre quelques mois que Bowen soit adulte, complètement éduqué, et qu’il maîtrise ses émotions, avant que de le mettre au contact de mes patients. J’ai préféré l’habituer rapidement à cette expérience du cabinet, pour lui indiquer que ça allait être une partie de sa vie. J’ai sans doute fait quelques petites erreurs en introduisant Bowen dans ma pratique, mais j’ai fait avec mon instinct, dans un élan de créativité. Car j’ai la conviction que la présence de Bowen dans mon cabinet peut être un bénéfice pour mes patients. Le Golden retriever est à l’origine un chien de chasse, sélectionné pour rapporter (« to retrieve » en anglais) le gibier. Il adore faire des trous dans le sol, se promener fièrement avec un gros bout de bois en travers de la gueule, et se rouler dans la boue. Pas franchement un chien de salon. Mais c’est surtout un chien réputé pour être intelligent, complètement dénué d’agressivité, et surtout très affectueux. On le retrouve souvent avec son cousin le Labrador dans les univers où la médiation animale est utilisée. Il adore la compagnie des humains. Et leurs caresses. Bref un chien dans la relation.

Ecoute flottante

Une fois que nous sommes assis, Bowen commence à se chercher un endroit dans la pièce. J’ai laissé un battement de 15 ou 30 minutes entre les deux séances, le temps nécessaire pour aller se promener ou jouer sur le cours Saint-Jean en face de l’immeuble, ou pour nous dégourdir les jambes sur les bords de l’Erdre. Bowen a fait ses besoins, a joué, a bu, a eu des caresses. Ses besoins élémentaires sont assouvis. Il a compris que pour l’heure qui vient je ne vais plus m’occuper de lui, mais me mettre au service de quelqu’un d’autre. Bowen considère alors l’espace, teste un endroit, change de place, revient là où il était. En une séance, il peut changer deux ou trois fois de place. La plupart du temps, il va s’allonger de tout son long entre le patient et moi. Il s’assoupit, mais il reste attentif. Mon chien pratiquerait-il « l’écoute flottante » chère à Sigmund Freud ?

« Amour pur »

Freud – ce sera l’objet d’un prochain texte – a découvert sur le tard les bienfaits de la compagnie des chiens. Mais il a noué une relation très intense avec les chiens et chiennes qui l’ont accompagné sur la fin de sa vie. Il loue l’absence chez eux – à l’inverse de hommes – de toute forme d’ambivalence : « Les chiens aiment leurs amis et mordent leurs ennemis, ils sont en cela bien différents des hommes qui sont incapables d’amour pur et doivent toujours mêler l’amour à la haine dans leur relation d’objet », explique le psychanalyste. Le chien ne se cache pas : comme un nouveau né, il plante son regard dans le votre sans aucune pudeur, sans aucune crainte.

Bowen est désormais présent les mardi matin à mon cabinet, et bientôt il restera l’après-midi aussi. Je m’assure que les patients qui viennent ce jour-là aiment les chiens ou ne sont pas complètement réfractaires. Certains font le choix de venir ce jour-là. La séance est terminée, Bowen s’étire, se relève doucement, et vient se poster en face de la personne qui cherche de l’argent dans son portefeuille ou alors rédige son chèque. Plusieurs personnes ont été tentées de glisser l’argent dans la gueule de Bowen. Lui, pour tout salaire, ne réclame que des caresses.

Patrick Déniel

Si vous êtes « psy à chien » ou « psy à chat », n’hésitez pas à partager votre expérience dans les commentaires…

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