De la peur du noir

« Et vous, est-ce que vous avez-vous peur du noir ? » Qu’est-ce au juste que le noir ? Et pourquoi diable en avoir peur ? Absence de lumière, absence de couleur, absence de tout, contre-couleur, le noir se définit souvent en premier par ce qu’il n’est pas. Absence de couleurs ou au contraire résultat de leur somme ? Une totalité, une forme de saturation. L’aboutissement de toutes les autres couleurs. C’est une limite (en dessin, le noir est la couleur du contour). Une limite du spectre. Froid. Vide et plein, lieu du paradoxe, exactement comme le blanc. Le noir et le blanc, d’ailleurs, se répondent – yin et yang – immanquablement. Dualité : jour/nuit ; lumière/ombre ; connaissance/ignorance ;  homme/femme…

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Pierre Soulages « Peinture »

Surface de projection d’une sorte de cinéma intérieur (au cinéma, l’écran, lui, est blanc !), le noir est peuplé. Monstres, peurs, angoisses : le noir contient tout en puissance, puisqu’il absorbe tout et ne rend rien. C’est un réservoir inépuisable ! Ténèbres primordiales, indifférencié originel, le noir est l’empire de la mort, la couleur du deuil (le blanc aussi, d’ailleurs, dans certaines cultures). La perte et la chute. A-t-on vraiment peur du noir ? Le noir, c’est quand il n’y a déjà plus rien, que tout est mort. C’est la descente vers le noir, vers les profondeurs, qui peut faire peur, la privation de quelque chose, de la séparation, et l’angoisse ou l’effroi de cet inconnu, tapi dans l’ombre, qui peut venir, surgir et engloutir.

 

Symbole de l’inconscient

Si le blanc et le noir sont deux limites, deux extrêmes, leur mélange génère le gris, le milieu. L’homme en quelque sorte, le Soi. Le noir est le symbole de l’inconscient (la psychanalyse, psychologie des profondeurs !). Le noir est le symbole de l’occulte, au sens de ce qui est occulté : le hors-soi. Le noir c’est la peur de l’Autre, mais de l’Autre en soi. Le noir est aussi – surtout ! – intérieur. Il y aurait quelque chose de la peur à apprivoiser. Quelque chose à mettre en mots.

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Anish Kapoor « Descent into the limb »

Comme le pire n’est jamais sûr, le noir n’est jamais noir. Jamais total. La nuit n’est pas le noir. Le noir, le vrai, le chaos, c’est encore plus loin, ou ailleurs. La vraie peur du noir, c’est la peur d’un absolu. Mais le noir est une réserve de quelque chose. Je rapproche cette idée de ce que nous avons évoqué du désir et de la libido et d’un certaine part de satisfaction que le Moi se doit de mettre en réserve. Le noir aurait à voir avec cela : il y aurait dans le noir une réserve d’angoisse et de peur inextinguible qui serait à rapprocher de cette réserve de jouissance. Et dans cette réserve, une sorte de mémoire.

Symbole de l’écriture

Mais si le noir est la mort, c’est aussi la (re)naissance de quelque chose. De la régénération. Couleur de deuil dans les cultures occidentales et – forcément – de fécondité à d’autres endroits du monde (qu’on songe aux déesses de la fertilité : noires, évidemment). Là encore, un réservoir inépuisable ! Chaos originel, obscurité gestatrice : impur, le noir est féminin (le yin). Dans la mythologie gréco-latine, le Chaos (le noir) engendre Nyx (la Nuit) et son frère Erèbe (les Ténèbres) dont l’union incestueuse donne naissance au Jour (Ether), l’aube chère à Nietzsche. Mais comment, dans ces conditions, ne pas avoir peur du noir ! Qu’on pense aussi à l’œuvre au noir (nigredo) des alchimistes, première des trois phases, avant l’œuvre au blanc et l’œuvre au rouge, pour transformer le plomb en or et obtenir la panacée. C’est la partie la plus dure du travail : séparation et dissolution de la substance, de la matière. Symbole de l’épreuve, de qui est à accomplir.

le_yin_et_le_yangLe noir, c’est enfin le symbole de l’écriture : ne dit-on pas « noircir les pages » ? Du noir sur le blanc de la page : ensemencement et création. Il faut bien se résoudre à mettre du noir (pulsion de mort ?) sur le blanc pour arriver à créer, à renégocier quelque chose sur la page comme on renégocie sans cesse dans l’analyse. Faudrait-il rapprocher la peur du noir et l’angoisse de la page blanche ?

 

Patrick Déniel

 

Bibliographie

– Chevalier / Gheerbrant : « Dictionnaire des symboles »

 

 

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