L’angoisse chez Mélanie Klein

La terminaison d’une analyse, d’un travail de thérapie, réactive chez le patient des situations plus anciennes de séparation. Parmi ces situations, celle du sevrage du bébé est l’une des premières, et peut-être l’une des principales, postule Mélanie Klein. Cette étape est source de conflit et d’angoisse.

Pour Klein, il y a deux sources d’angoisse distinctes dans la petite enfance. D’abord l’angoisse persécutive, prédominante dans les premiers mois de la vie, et qui donne naissance à la position paranoïde-schizoïde. Puis vient l’angoisse dépressive, qui lui succède vers le milieu de la première année, et qui donne naissance à la position dépressive.

L’angoisse persécutive vient menacer le moi du nourrisson qui commence à se former. Elle est ressentie à la fois à partir de sources externes (des éléments de l’extérieur « attaquent » le bébé) comme par exemple lors de la naissance, qui peut représenter une sorte de traumatisme initial. L’angoisse peut être également ressentie à partir de sources internes. La cause primaire de l’angoisse, explique Mélanie Klein, vient de la peur de l’annihilation, la peur de la mort, qui provient de la pulsion de mortqui travaille à l’intérieur. La pulsion de vie (Eros) et la pulsion de mort (Thanatos) sont présentes et intriquées depuis le début de l’existence à l’intérieur de chacun d’entre nous. La pulsion de vie lie, fusionne, organise et intègre ; la pulsion de mort délie, défusionne, désorganise et désintègre.

Projection/Introjection

Présente également dès le début de l’existence, selon la psychanalyste austro-britannique, l’activité fantasmatique, en lien avec les pulsions, développe des capacités de projection et d’introjection. Par projection, on entend la capacité à diriger vers des objets extérieurs les mouvements de libido et d’agressivité. Par introjection, on entend la capacité à prendre l’objet extérieur et le faire exister à l’intérieur de soi avec ses caractéristiques propres. C’est par ces mouvements de projection et d’introjection que le nourrisson peut faire, peu à peu, exister les objets. Des objets externes et des objets internes. Pour Mélanie Klein, le premier de ces objets n’est pas une personne en tant que telle, mais un objet partiel, il s’agit du sein de la mère (ceci s’applique de la même façon quand le nourrisson est nourri au biberon).

Durant les premiers mois, l’angoisse persécutive relative aux objets internes est fréquente et exerce une pression sur le moi, et teste sa résistance. L’angoisse peut à certains moment affaiblir le moi, à d’autres moment le pousser vers des niveaux d’intégration supérieurs. Le monde fantasmatique du nourrisson alimente la construction du moi, en lien avec les objets internes et avec ses émotions et ses expériences. Le nourrisson peut sentir qu’il abrite de bons objets et il va éprouver de la confiance, de l’assurance et de la sécurité. Ou il peut sentir qu’il a à l’intérieur de lui de mauvais objets et il va éprouver de l’insécurité et de la persécution. La relation aux objets internes se développe en parallèle de la relation aux objets externes. Ces bons objets et mauvais objets internes sont la préfiguration du surmoi, cette instance interne morale qui peut représenter tour à tour un juge interne impitoyable ou un bon parent qui alimente l’estime de soi.

Un processus de synthèse

Le nourrisson dirige ses sentiments de gratification et d’amour vers le « bon » sein, et ses motions destructrices et ses sentiments de persécution vers le « mauvais » sein. Le processus de clivage est à son apogée dans la phase d’angoisse persécutive : l’amour et la haine sont maintenus séparés l’un de l’autre.

L’angoisse dépressive se rapporte au danger que représenterait l’agressivité du nourrisson envers son objet. Elle est issue d’un processus de synthèse. En effet, le nourrisson est progressivement capable d’intégrer à la fois l’amour et la haine qu’il ressent envers le « bon objet » et le « mauvais objet », qui ne sont en réalité qu’un seul et même objet. Ceci est un processus de croissance et d’adaptation à la réalité. A travers le sevrage, le bébé sent qu’il a perdu un premier objet, le sein de la mère. Et qu’il le perd à cause de sa haine, son agressivité et son avidité. C’est l’équivalent d’un deuil, et il entraîne des sentiments dépressifs. Le bébé est alors capable de ressentir une forme de culpabilité envers cet objet, et de vouloir alors le réparer dans un élan d’amour. Mélanie Klein nomme ce processus l’entrée dans la position dépressive.

Mélanie Klein explique que cette position dépressive doit être perlaborée. C’est-à-dire que l’enfant doit pouvoir vivre et ressentir suffisamment souvent toute la gamme des sentiments d’amour et de haine envers l’objet primaire, mais aussi de l’angoisse, de l’affliction et de la culpabilité. L’échec de la perlaboration de la position dépressive est lié à la persistance de défenses « maniaques » qui entraînent la répression de certaines émotions et de la vie fantasmatique.

Revisiter les étapes infantiles

Chaque séparation, chaque deuil, peut réveiller ces processus précoces, ces sentiments persécutifs et dépressifs, qui sont souvent entremêlés. Ces deux formes d’angoisse, soutient Mélanie Klein, contiennent en elles toutes les situations d’angoisse que peut traverser l’enfant, toutes les peurs infantiles. Et sans doute une bonne partie des angoisses de l’adulte.

La terminaison d’un travail de thérapie permet de revisiter ces étapes infantiles. Le thérapeute peut parfois apparaître comme une figure idéalisée. Ce mouvement d’idéalisation peut être une défense contre l’angoisse persécutive. Mais il peut aussi à certains moment représenter une figure persécutive. Le travail thérapeutique doit pouvoir aider le patient à intégrer ces différentes facettes projetées sur le thérapeute, le bon et le mauvais, et à les faire tenir dans un seul objet, à la fois bon et mauvais, pour mettre fin au mécanisme de clivage entre les forces persécutrices et les forces idéalisées, entre les motions agressives et les motions libidinales, entre la haine et l’amour.

Mélanie Klein, « Le transfert et autres écrits » (Puf ; 1995)

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